Féminisme et transsexualisme : origines religieuses et mystiques – La femme dans la Torah et le transgenre dans la Kabbale, par Youssef Hindi (partie 2)
Publié le 25 Mars 2022
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Partie II (part. 1) : La femme dans la Torah et le transgenre dans la Kabbale
• La femme dans le judaïsme, de la Torah à la Kabbale
- La création d’Ève dans la Torah
- La femme porte la responsabilité du premier péché
- Messianisme, libération de la femme et dépravation
• Féminité et transsexualisme dans la Kabbale
- Les kabbalistes spéculent sur le genre de la divinité
- Les origines platoniciennes et kabbalistiques de la théorie du genre
- Théorie du genre et homosexualité dans la Kabbale
- Considérations eschatologiques en conclusion
Le mois dernier nous publiions la première partie de cette étude, qui présentait les principaux mouvements et idéologies LGBT du XIXe siècle à nos jours. Cette seconde partie traitera exclusivement de la généalogie religieuse et mystique du féminisme et du transsexualisme.
Nous commencerons par le commencement, le récit de la création d’ve et le statut de la femme dans la Torah. Ce qui causera la naissance du féminisme juif comme nous l’avons expliqué dans la première partie ; féminisme juif né en réaction à la misogynie extrême du judaïsme.
Ensuite nous retracerons la généalogie de ce que nous considérons être à l’origine de la théorie du genre, à savoir la mystique juive, la Kabbale, fortement influencée, de ce point de vue, par le platonisme.
La création d’Ève dans la Torah
Dans la Genèse, le premier livre de la Torah, il existe deux versions de la création. La première version est élohiste, où Dieu est appelé « Élohim » (אֱלֹהִים), et la seconde version yahviste, où le nom de la divinité est « Yahvé » (יְהוָה) [1].
Dans la première version de la création, la version élohiste, il est écrit que Dieu a créé l’homme et la femme en même temps, après avoir créé les plantes et les animaux :
« Élohim (Dieu) créa l’homme à son image ; c’est à l’image de Élohim (Dieu) qu’il le créa. Mâle et femelle furent créés à la fois. » (Genèse, 1:27)
Mais dans la deuxième version, la version yahviste, de la création (qui commence en Genèse, 2:4), il est écrit que Yahvé créa l’homme (Genèse, 2:7), puis les plantes (Genèse, 2:8-9), et afin que l’homme ne soit pas seul, il créa les animaux (Genèse, 2:18-19). Et finalement, Yahvé créa la femme d’une côte (ou d’un côté, selon les interprétations) de l’homme, car parmi les animaux « il ne trouva pas de compagne qui lui fût assortie » :
« L’homme imposa des noms à tous les animaux qui paraissent, aux oiseaux du ciel, à toutes les bêtes sauvages ; mais pour lui-même, il ne trouva pas de compagne qui lui fût assortie.
Yahvé fit peser une torpeur sur l’homme, qui s’endormit ; il prit une de ses côtes, et forma un tissu de chair à la place. Yahvé organisa en une femme la côte qu’il avait prise à l’homme, et il la présenta à l’homme. » (Genèse, 2:20-21)
Dans la version yahviste de la création, la femme n’est donc créée qu’après les plantes et les animaux, car l’homme n’aurait pas trouvé de compagne parmi ces derniers…
La femme porte la responsabilité du premier péché
Selon la Torah, la femme est la première pécheresse, c’est elle qui a provoqué la chute d’Adam en le poussant à commettre ce péché. Dieu leur avait interdit de manger les fruits de l’arbre au milieu du jardin, mais la femme fut facilement tentée par le serpent ; elle mangea du fruit de l’arbre et incita l’homme à faire de même :
« La femme jugea que l’arbre était bon comme nourriture, qu’il était attrayant à la vue et précieux pour l’intelligence ; elle cueillit de son fruit et en mangea, puis en donna à son époux, et il mangea. » (Genèse, 3:6)
Lorsque Dieu demanda à Adam pourquoi il avait mangé de cet arbre, Adam lui répondit :
« La femme que tu m’as associée, c’est elle qui m’a donné du fruit de l’arbre, et j’ai mangé. » (Genèse, 3:12)
Et la Torah énumère les punitions qui frappent plus la femme que l’homme :
« À la femme il dit : "J’aggraverai tes labeurs et ta grossesse ; tu enfanteras dans la douleur ; la passion t’attirera vers ton époux ; et lui te dominera."
Et à l’homme il dit : "Parce que tu as cédé à la voix de ton épouse, et que tu as mangé de l’arbre dont je t’avais enjoint de ne pas manger, maudite est la terre à cause de toi : c’est avec effort que tu en tireras ta nourriture, tant que tu vivras". » (Genèse, 3:16-17)
La femme, première responsable, a plusieurs punitions, l’homme une seule. Quant aux droits de la femme, il faut examiner minutieusement la Torah pour les trouver. Par exemple, dans la loi torahique la fille n’hérite de rien, à moins qu’elle n’ait pas de frère :
« Si un homme meurt sans laisser de fils, vous ferez passer son héritage à sa fille. » (Les Nombres, 27:8)
Nous avons constaté, dans la première partie, que le Talmud n’a guère élevé le statut de la femme et ne lui a pas octroyé de droits religieux supplémentaires. « La femme apparaît comme un degré intermédiaire entre l’humain et l’animal ou entre l’homme libre et l’esclave ou entre le majeur et le mineur. » [2]
Messianisme, libération de la femme et dépravation
Dans la littérature talmudique, on se questionne sur le statut de la Torah aux temps messianiques : la Torah du Messie, en cette époque de renouveau et de liberté qui accompagnera sa venue, impliquerait-elle l’abolition pure et simple de la loi ou le perfectionnement de la loi dont seul le Messie connaît la signification et qu’il est capable d’expliquer ? [3]
Cette réflexion se poursuivra jusqu’à conclure que la loi n’est plus nécessaire dans une ère où le « mauvais penchant » (yetser hara) a disparu ; si le mal n’est plus, les haies construites par la Torah et la Halakha n’ont plus, elles aussi, lieu d’être.
Les mouvements antinomistes (contre la loi) les plus extrêmes, sabbatéen (XVIIe siècle) et frankiste (XVIIIe siècle), iront jusqu’à considérer que la nouvelle Torah consiste à violer systématiquement les lois de « l’ancienne ». Une conception liée au fameux concept de « rédemption par le péché » : une vision de l’histoire fondée sur l’idée que Satan (aussi appelé Samael dans la Kabbale) se repentirait lui-même et serait à la fin des temps transformé en ange de pureté.
Ainsi, selon les kabbalistes défendant la thèse de la rédemption de Satan (Samael), le mal serait ou « redeviendrait » le bien. Cette idée de la rédemption de Satan se trouve formulée dans un traité kabbalistique, le Kaf ha-Ketorat, rédigé en 1500 et particulièrement dans les Asarah Ma’amarot du rabbin talmudiste et kabbaliste d’Italie Menahem Azariah Fano (1548-1620), qui fut d’ailleurs un disciple du grand kabbaliste Moïse Cordovero. « Une formulation symbolique importante du futur retour de Samael à la sainteté, particulièrement répandue à partir du XVIIe siècle, fut l’opinion selon laquelle son nom serait changé, la lettre mem, signifiant mort (mavet), tombant pour laisser Sa’el, un des soixante-douze Noms saints de Dieu. » [4]
Ces mouvements antinomistes et messianiques sont aussi une réaction à la loi qui pèse sur le peuple juif, qui est une contrainte extrêmement lourde. Les temps messianiques libèrent les juifs de ce carcan législatif. Ils libèrent les hommes mais également les femmes.
Il n’est donc pas étonnant que l’antinomiste Sabbataï Tsevi (1626-1676), prétendu Messie (qui vivait en Turquie), ait accompagné la violation systématique des lois de la Torah avec la « libération » de la femme, une libération synonyme de dépravation.
Dans la prison doré où il a été placé par les autorités ottomanes, Tsevi et les membres de sa secte se livraient à des actes de débauches collectif – Tsevi eut des rapports à la fois avec des filles (vierges) et des garçons parmi ses disciples – qualifié dans les plaintes déposées auprès des autorités turques comme « des abominations insoutenables commises à la cour du Roi (c’est à dire Sabbataï) ». À cela s’ajoutait d’autres comportements antinomistes comme le piétinement des tefilin (des boîtiers avec des passages bibliques attachés par des lanières de cuir autour du bras et de la tête durant la prière) et des rouleaux de la Torah préalablement déchirés. La femme de Sabbataï Tsevi, Sarah, une souillon notoire, présidait, telle une reine, ces scènes d’orgie sexuelle. Peut-être que Tsevi « fut aussi influencé par sa femme, et ses propres idées ayant trait à l’affranchissement messianique de la femme, libérée du joug de son mari » [5].
Le successeur de Tsevi, l’antinomiste Jacob Frank (1726-1791), né à Korolivka (Podolie, dans l’actuelle Ukraine), prétendue réincarnation de Sabbataï Tsevi et Messie autoproclamé, s’est adonné, avec ses sectateurs, à des orgies sexuelles et blasphématoires. La veille de son départ pour le baptême à Lvov, pour se convertir faussement au catholicisme, le 14 juillet 1759, Jacob Frank organisa à Iwany une célébration secrète de rite orgiastique (décrit en détail dans un manuscrit frankiste). « Frank et tous les assistants, se dévêtirent complètement, se mirent à genoux, baisèrent la croix et se livrèrent devant elle à un rite effréné de débauche. Des célébrations rituelles de cette sorte, qui tournent en dérision la religion que les sectaires allaient embrasser, furent organisées à plusieurs reprises lorsque Frank fut détenu à Czestochowa, et par la suite à Brünn. » [6]
Devons-nous en supposer que ce sont là les racines du féminisme juif, et plus précisément du féminisme de la deuxième vague qui a lutté pour la « libération sexuelle », et dont les promotrices et les grandes figures, comme nous l’avons vu dans la première partie, sont juives ?
Notes
[1] Pour des explications approfondies sur les différentes versions de la Torah et l’origine de Yahvé, lire : Youssef Hindi, Occident et Islam – Tome 2 : Le paradoxe théologique du judaïsme. Comment Yahvé usurpa la place de Dieu, Sigest, 2018.
[2] Charles Mopsik, Le Sexe des âmes – Aléas de la différence sexuelle dans la cabale, Éditions de l’Eclat, 2003, 2021, p. 34.
[3] Gershom Scholem, Le Messianisme juif, Calmann-Lévy, 1992, p. 20.
[4] Gershom Scholem, La Kabbale, Gallimard, 2003, p. 219.
[5] Gershom Scholem, Sabbataï Tsevi, le messie mystique, Verdier, 1983, 2008, pp.649-650.
[6] Gershom Scholem, Aux origines religieuses du judaïsme laïque, de la mystique aux Lumières, Calmann-Levy, 2000, p. 216.
[7] Charles Novak, Jacob Frank le faux messie, L’Harmattan, 2012, pp. 86-87.
[8] Georges Roux, La Mésopotamie, Seuil, 1995, p. 112.
[9] Jean Soler, Qui est Dieu ?, Fallois, 2012, pp. 61-63 ; Thomas Römer, L’invention de Dieu, Seuil, 2014, pp. 221-228.
[10] https://www.persee.fr/doc/rscir_003...
[11] Charles Mopsik, Le Sexe des âmes, Aléas de la différence sexuelle dans la cabale, Editions de l’Eclat, 2003, 2021, p. 61.
[12] https://www.myjewishlearning.com/ar...
[13] https://web.archive.org/web/2013062...
[14] Charles Mopsik, op. cit. p. 72.
[15] Charles Mopsik, op. cit. p. 60.
[16] Charles Mopsik, op. cit. pp. 45-46.
[17] Charles Mopsik, op. cit. p. 65.
[18] Charles Mopsik, op. cit. p. 72.
[19] Gershom Scholem, La Kabbale, p. 258.
[20] Liqoutim sur le Sifra ditsniouta, Vilna, 1873. Rapporté par Charles Mopsik, op. cit. p. 71.
[21] Charles Mopsik, op. cit. p. 74.
[22] Charles Mopsik, op. cit. pp. 77-78.
[23] Charles Mopsik, op. cit. pp. 86-87.
[24] Charles Mopsik, op. cit. pp. 91-93.
[25] Charles Mopsik, op. cit. p. 95.
[26] Codex Thoed. IX, 7, 3.
[27] Emmanuel Todd, Après la démocratie, Gallimard, 2008, pp. 217-220.
[28] https://www.egaliteetreconciliation...
[29] Rapporté par Ibn Abbas.
[30] Rapporté par Malik.
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