Poirer le papillon, lettres de Jean Dubuffet à Pierre Bettencourt
Publié le 28 Octobre 2017

Poirer : argot - verbe transitif du premier groupe - signifie : attraper, arrêter.
Jean Dubuffet et Pierre Bettencourt se rencontrent en 1949, à la librairie Parisot :
Située à l'intérieur de l'immeuble des éditions Gallimard (d'accès difficile, uniquement pour les initiés) par laquelle on devait passer pour se rendre dans le jardin, au fond duquel s'élevait le petit temple de l'Art Brut. C'est dans le sous-sol de cet édifice que D. tirera pour la première fois sur feuilles volantes réunies par une agrafe LER DLA CAMPANE, le deuxième texte de PLU KIFEKLER*.
note de P. Bettencourt p. 11. In Poirer le papillon
*Plu kifekler mouinkon nivoua

Leur amitié va durer trente-cinq ans. Différents en bien des points, ils vont cependant se "retrouver" sur le terrain de l'art, mais pas n'importe quel art. L'art des dissidents, de ceux qui pensent et envisagent le monde depuis un point de vue qui leur est propre et complètement original, hors conventions sociales : l'Art Brut.
Depuis que le monde est monde, comme on dit, il y a toujours eu des fous, des mystiques, des originaux, des #jevaistoutbousculerbordel! Des hommes et des femmes qui, parce que leurs crânes sont pleins à craquer d'inexprimable, d'indicible, ressentent la nécessité impérieuse d'extérioriser "l'inverbalisable" avec les moyens qui leur tombent sous la main. C'est l'Art du "divers", fait de bric et de broc, réalisé à l'instinct, sans aucune connaissances des règles académiques, sans maître ni mentor. C'est Jean Dubuffet, en 1945, qui trouve le nom d'« Art Brut » pour ce mode d'expression. Un art qu'il découvre dès 1922, alors qu'il s'intéresse aux travaux des psychiatres de l'époque. Dès lors, tout comme ces médecins de la psyché, il collectionnera ces œuvres extraordinaires, expressions brutes de l'inconscient.
Parce que j'avais vraiment beaucoup aimé L'Intouchable et Fables fraîches pour lire à jeun, de Pierre Bettencourt, j'avais acheté dans la foulée Poirer le papillon, une compilation de lettres de Jean Dubuffet adressées à Pierre Bettencourt. Une façon de rester encore un peu en compagnie de cet incroyable artiste. Et comme je l'espérai, j'ai aimé cette lecture. J'y ai découvert quelques aspects de la personnalité de Jean Dubuffet, et toujours – dans les quelques notes discrètes de bas de page – cette même sensibilité de Pierre Bettencourt. Au détour de deux ou trois pages, j'ai même eu l'occasion de m'esclaffer joyeusement. Quel caractère, ce Dubuffet !
J'ai bien conscience que Poirer le papillon n'est pas un livre "grand public". Et qu'il est fort possible qu'il n'ait d'intérêt que pour ceux qui connaissent les œuvres de Jean Dubuffet, de Pierre Bettencourt, et l'Art Brut ou Art Singulier en général... Mais il n'empêche, je trouve qu'il est bon d'en parler, à tout hasard... Car ce qui ne plaît pas aujourd'hui le peut demain. En plus, les livres de cet éditeur sont de belle facture, on aime à les avoir en main, à couper les pages avant de lire les mots qu'ils recèlent. Ils sentent bon, et disent à travers l'ivoire de leurs pages leur amour de la littérature.
©Marguerite Rothe